
Spécificité des mouvements d'entraide
Spécificité des mouvements d’entraide dans le cadre de l’accompagnement du sujet alcoolo-dépendant
« Le point de vue du psychologue »
Les mouvements d’entraide ont aujourd’hui une place incontestable et incontestée dans le dispositif de soins alcoologiques. Mais, il convient de noter qu’hors de ce champ, l’intervention d’un militant peut encore demeurer incomprise.
À ne pas comprendre la spécificité de cet accompagnement, les médecins, les psys, les différents acteurs sociaux peuvent se montrer réservés, voire franchement hostiles à toute collaboration et se privent ainsi d'une aide précieuse. Par ailleurs, les militants qui maîtrisent mal les principes mêmes de leur action peuvent alimenter une rivalité imaginaire et injustifiée dont chaque protagoniste (patient compris) finira par pâtir.
Nous allons reprendre sommairement quelques points qui nous semblent caractéristiques de la maladie alcoolique :
- Le sujet alcoolique est souvent animé par un mécanisme de déni, c’est-à-dire le refus du sujet de considérer l’alcool comme responsable de ses difficultés somatiques, psychologiques ou sociales.
- L’assujettissement du patient à l’alcool allant jusqu’à l’avènement d’une dépendance physiologique s’est installé peu à peu et à son insu. Là ou l’entourage commence à s’inquiéter et tente d’alerter le sujet, ce dernier demeure toujours dans l’illusion qu’il maîtrise sa consommation et qu’il gère encore sa vie...
- Lorsque la dépendance s’est installée, le sujet est enfermé dans ce que les psychanalystes appellent «une jouissance autiste». Le terme de jouissance n’est pas à confondre avec plaisir.
La jouissance invoquée ici est ce qui conduit un sujet à obéir aux injonctions de l’alcool et qui l’amène, en abandonnant tout ce qu’il en est des désirs qui soutenaient sa vie, à se détruire dans la soumission à cette injonction.
On la considère comme autiste, puisque le sujet n’a plus besoin d’en passer par un autre (un partenaire) pour trouver sa satisfaction. Ainsi, même si le malade alcoolique garde une intense vie sociale, l’objet unique de sa recherche de satisfaction ne résidera plus dans la richesse de ses liens sociaux (vie amoureuse, professionnelle, associative, culturelle, etc.) mais uniquement dans la recherche et prise d’alcool. La prédominance de cette jouissance autiste a pour conséquence que le malade ne s’en remet plus à son entourage pour demander de l’aide ; ni à sa famille, ni à ses amis, ni à son médecin...
Ces trois caractéristiques (la jouissance autiste, la dépendance enclenchée à son insu et le déni face à la perte de maîtrise) parasitent grandement la relation d’aide et l’entrée dans processus de soins. Ces attitudes vont exister même si le sujet concerné témoigne d’une grande souffrance et en appelle à l’aide.
Les contres attitudes de l’environnement du sujet alcoolo-dépendant
Les proches (amis, famille, collègues) tout comme encore les milieux thérapeutiques sont souvent déconcertés par le comportement du sujet alcoolique.
A ne pas admettre le déni comme un mécanisme inhérent à ce mal être, on peut alors développer un discours moralisateur et sentencieux «il ne veut pas s’en sortir il n’y a rien à faire ; il est irresponsable» se coupant de facto d’une véritable relation d’aide.
A méconnaître les mécanismes de la dépendance, on ne prend pas en compte toute une réalité vécue par le malade, on mélange causes et conséquences de l’alcoolisme et infine, on ne fait qu’aggraver ou troubler un tableau clinique complexe ou se mêlent des facteurs somatiques, psychologiques et sociaux. Ainsi on proposera une postcure ou une réinsertion spécialisée avant même un sevrage et des soins adaptés ou bien encore on rajoutera des prescriptions médicamenteuses face à des signes cliniques sans chercher à vérifier s’ils sont causes ou conséquences de l’alcoolodépendance... Combien de sujets sont encore confrontés à des séjours psychiatriques sans même que l’on ait évalué le rôle du facteur alcool dans les perturbations qu’ils pouvaient présenter ? A ne pas prendre en compte ce que nous avons appelé «la jouissance autiste», on peut croire alors qu’il suffit de faire offre de soins pour que le sujet s’y inscrive. On s’étonne alors que le sujet n’aille pas aux consultations ou soit incapable de soutenir une psychothérapie.
Et même lorsque le sujet se montre docile, on ne comprend pas pourquoi l’offre de soins n’a aucune prise sur son addiction. On se confronte donc à un sentiment d’échec et on instille, s’en sans rendre compte, au malade alcoolique que l’on ne peut rien faire pour lui.
Paradoxalement, enlui faisant maladroitement l’offre de soins, on le coupe un peu plus de l’acceptation qu’il doit en passer par un autre pour s’en sortir...
La spécificité de l’accompagnement par un ancien buveur,
Nous avons cru bon d’insister sur les attitudes du malade alcoolique et sur les contres attitudes de son environnement pour montrer la spécificité d’un mouvement d’entraide.
Le malade alcoolique, nous l’avons vu, éprouve une grande difficulté à s’en remettre à un autre pour demander de l’aide. Mais face à cet impossible, il existe une petite fenêtre. S’il se coupe de tous, il acceptera néanmoins beaucoup plus facilement de s’en remettre à un autre qui est (ou plus justement qui a été) comme lui. Cette identification est essentielle et constitue un levier puissant pour favoriser l’acceptation d’un processus de soins.
La seule présence du bénévole devenu abstinent dans un accompagnement vient contrer tous les effets parasites dont nous avons parlés.
- D’une part, le malade a enfin la sensation d’être compris. Il peut parler de ses stratégies pour trouver de l’alcool; il peut expliquer les signes de la dépendance; il peut témoigner de certains troubles du comportement; il se verra toujours écouté avec un petit signe de complicité et de bien-entendu. Si cet autre (l’ancien alcoolodépendant) est comme lui-même, ce n’est plus la peine de s’en protéger.
- D’autre part le malade peut y croire ! Il a en face de lui quelqu’un qui lui témoigne d’un même parcours et qui s’en est sorti. Le bénévole devenu abstinent est la seule personne à se trouver dans une position stratégique essentielle : il est témoin de la souffrance du sujet, mais il peut aussi témoigner de son propre parcours attestant d’un horizon favorable.
Toutes celles et ceux qui ont participé à des groupes de parole au sein d’une structure de soins ou dans le cadre d’une association ont ressenti le puissant pouvoir d’identification de celui qui peut raconter son histoire avec l’alcool mais plus encore des bénéfices qu’il a trouvé dans l’abstinence. Toutes les barrières sociales, culturelles, et même sexuelles s’estompent quand un témoignage est entendu, poussant ainsi celui qui est dans la souffrance à s’identifier à celui qui parle, et créant alors une formidable dynamique.
Là ou il y avait souffrance, désespoir, désolation, honte, culpabilité, naît l’idée d’un possible «Je peux m’en sortir puisque lui qui est si proche de moi y est arrivé».
Et de plus, je le vois heureux, plein de projets, fier de lui et capable de transformer ce qui fut son drame en un style de vie ou la non-consommation d’alcool devient source de bien être...
Les écueils de l’accompagnement pour un bénévole
La puissance d’intervention du bénévole trouve sa source de sa propre expérience.
L’accompagnement d’un malade par un bénévole nécessite que ce dernier soit capable d’éviter certains pièges que l’on constate fréquemment chez pelles et ceux qui proposent une aide relationnelle. Il convient d’une part d’occuper sa place, toute sa place mais rien que sa place dans un dispositif de soins.
La puissance d’intervention du bénévole trouve sa source d’abord de sa propre expérience (c’est elle, nous l’avons soulignée, qui va permettre l’identification et donner l’envie au malade engager le processus de changement et sa propre décision de soins). C’est en, cela qu’il est un spécialiste. Il n’a donc nul besoin de rivaliser avec un médecin ou un psy. D’autre part, il lui faudra aussi être capable de ne pas prêter au malade ses propres sentiments. Ce mécanisme, qui s’appelle la projection, dans la terminologie psychanalytique, est un écueil fréquemment rencontré parmi les novices en relation d’aide. Nous avons tous tendance à croire que notre prochain ressent les mêmes choses que nous et nous nous mettons alors à lui imposer ce qu’il faut faire (pour son bien !) sans plus tenir compte de la complexité de sa personnalité, de ses points de repères, de son histoire.
À trop vouloir son bien, le malade se sent dépossédé et peut réagir par le rejet, l’opposition ou la fuite.
Ces quelques indications montrent toute la finesse que doit posséder un accompagnant ancien dépendant de l’alcool. Il faut qu’il sache mettre en évidence toute la richesse de son expérience (pour susciter le désir de changement) et une certaine humilité pour que le plus grand nombre puisse se retrouver en lui. Ces qualités appellent un véritable savoir-faire qu’Alcool Assistance a su développer à partir d’un référentiel de compétences.
Rémy Baup